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NOTE D'INTENTION DU METTEUR EN SCENE

Autour du spectacle "Samouraï"

NOTE D’INTENTION

Bon alors, on fait quoi avec cette piscine ?

La difficulté à vivre, à être soi-même et à trouver sa place dans le monde ont toujours été le sujet central de mes mises en scène.

Je crois qu'au final elles dégagent toutes une grande vitalité, mais la solitude, la dépression, ou la tentation du suicide ne sont jamais très loin.

Tout en étant résolument une comédie, Samouraï s'ouvre sur une rupture amoureuse, le suicide d'un ami, et la menace d'une météorite tombant sur Terre : c'est pour moi le plus métaphysique des textes de Fabrice Caro.

Comme toujours avec lui, le résumé de l'intrigue tient en deux lignes et demi :

Un homme se tient sur le bord d'une piscine. Ses voisins l'ont chargé de la ''surveiller'' pendant leurs vacances, c'est-à-dire d'y mettre deux galets de chlore par semaine. Il a décidé de profiter de cette période estivale pour écrire un roman.

Un roman sérieux, plus précisément, puisque c'est une des dernières phrases que lui a lancées son ex avant de le quitter : Tu veux pas écrire un roman sérieux ?

Alan, c'est son nom, va donc profiter de cette mission de surveillance de piscine pour se lancer dans l'écriture, avec l'obstination et la discipline d'un samouraï.

Un samouraï selon Fabrice Caro, c'est-à-dire à peu près l'exact opposé d'un samouraï.

Entre procrastination, passion naissante pour les petites bestioles qui commencent à envahir sa piscine, rencontres forcées de potentielles amoureuses, nostalgie d'enfance, projections de gloire télévisuelle, digressions en tout genre, le romancier n'écrira bien entendu pas une ligne et la piscine deviendra verte, pas besoin d'entretenir le suspens plus longtemps.

En dehors de la peinture d'une névrose qui sert de base aux derniers romans de Fabrice Caro, l'aspect métaphysique du roman tient dans cette triangulation : un homme, sa vie, son œuvre.

Alan se tient au bord de la piscine, mais il ne plonge pas dedans, il fait des projets d'écriture mais il n'écrit pas, il se sent seul mais il ne veut pas tomber amoureux, il a peur de mourir mais il fume, il a la phobie d'être appelé sur scène au théâtre, il ne veut surtout pas être acteur.

Il a développé comme tous les dépressifs une extrême lucidité sur les rapports humains ; mais cette lucidité qui l'empêche de participer à la comédie sociale se retourne contre lui, il devient lui-même une sorte de clown, incapable d'agir.

Alan s'inscrit dans une prestigieuse lignée de losers, d'anti-héros, des personnages de Tchekhov à l'Etranger de Camus par exemple, qui vivent leur vie sur le bord du monde.

La simplicité, l'épure de la situation, je veux les retranscrire dans ma mise en scène – à ce sujet, Fabrice Caro a dit qu'il voulait surtout écrire un texte qui se passe en été, et René Char écrit que la lucidité est la blessure la plus proche du soleil...

C'est terrible d'écrire des choses sérieuses sur Fabrice Caro, on a tout de suite l'impression de faire du Fabrice Caro, nous essaierons de faire comme lui, ne prendrons donc ''que l'humour au sérieux''.

Je suis certain que l'écriture de ses romans, différente de celle de ses bandes-dessinées, est extrêmement théâtrale, à charge de l'adaptation de choisir parmi la foule de ses digressions lesquelles raconter ; certain aussi que ce personnage qui commence mais ne termine jamais rien est un régal à regarder et écouter pour un public. Il est notre miroir, comme cette piscine est le miroir de sa vie, et de la nôtre.

Je souhaite justement adapter ce texte pour cette théâtralité, la simplicité de sa situation, qui renvoie à l'absurdité de la condition humaine, très modestement. Un homme, au bord d'une piscine.

Va-t-il plonger ?

Va-t-il être capable d'entretenir cette piscine ?

Va-t-il au moins être capable de nous raconter quelque chose de cohérent avant la fin du spectacle ?

Il y aura du soleil, des cigales, de l'eau, des silences, de la mélancolie, et des rires, surtout, des rires.

 

Denis Laujol, metteur en scène

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