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Article L'homme ne fond pas dans le Mittal

L’homme ne fond pas dans le Mittal


Ce dessin est extrait de la BD de Louis Theillier "Johnson m'a tuer, journal d'une usine en lutte", Futuropolis, 2014.

Un homme, ou des hommes et des femmes, qui en arrivent à enlever une des pus grosses fortunes industrielles de la planète. Des fous, des désespérés, des sans foi ni loi ? Et si c’était simplement des gens qui voulaient travailler et vivre une vie sociale et familiale normale. De la fiction à la réalité il n’y a qu’un pas.

Clabecq, Marcinelle, Seraing... Des noms qui évoquent certainement quelque chose aux plus âgés d’entre nous. De hauts lieux de la Wallonie industrielle ! Des centaines de familles de travailleurs casées - c’est un peu caricatural mais c’est aussi une réalité - dans des maisonnettes de briques rouges alignées dans les rues menant à l’usine. Des années de travail, dur et intense, donnant malgré tout un sens à la vie de toutes ces familles. Se lever tôt pour aller travailler, tous les jours, et revenir éreintés en fin de journée, c’était la vie de milliers d’ouvriers. Une vie pénible mais une vie quand même. Une vie sociale aussi, une vie sentimentale à la clé, et une vie de famille. Le travail c’est tout ça à la fois, au-delà des simples revenus.


Jeune travailleur motivé

Le parcours de John, tel que relaté par le journaliste Olivier Bailly (1), est impressionnant. Le jeune homme ne termine pas ses humanités. Alors qu’il est en 5e, il quitte l’école pour entrer à l’usine. Il explique : «J’ai pris mes responsabilités. Mes parents étaient au chômage et je voulais travailler. Ils n’étaient pas contents de ma décision, ils auraient préféré que je termine mes humanités, mais j’avais l’impression de perdre mon temps à l’école. Je savais déjà ce que je voulais faire.»
Un dessin original de Louis Thellier inspiré par l'affaire Mittal.

Le 6 juillet 2007 il est engagé par un sous-traitant d’Arcelor Mittal. «J’ai travaillé partout, raconte-t-il, dans le chaud, le froid. J’ai fait le tour du site à Chertal, travaillé au laminoir à Tilleur, au rebus à Jemeppe, à l’électrogalvanisation à Marchin, à la galva de Ramet. Le tout pour terminer sur un bain de zinc à la ligne galva 7 de Flémalle. J’ai été partout sauf sur les hauts fourneaux, je n’ai pas eu cette chance. S’il fallait enchainer 6-2 alors que je terminais un 2-10, j’étais volontaire.»

N’ayant pas de voiture, il partait de chez lui à 3h30 du matin pour commencer son dur labeur à 6 heures. «S’il le fallait, j’aurais marché deux heures. Le matin, j’étais content d’aller au travail.»

Un moteur pour la Wallonie

La sidérurgie a occupé une place centrale dans de très nombreuses familles et dans le développement de la Wallonie. Elle lui a permis, très rapidement, de rayonner au niveau européen et mondial. Apportant même de la fierté à tous les Belges. Ses entreprises produisaient une grande diversité de produits, quasiment tous destinés à l’exportation. D’où une grande dépendance vis-à-vis du marché mondial. Ce sacro saint marché…

Un marché qui n’a cessé de s’ouvrir à la concurrence. Les coûts de production de chaque produit, dans chaque usine, ont été introduits dans un grand tableau. Celui qui se clôture par l’équation de la rentabilité. Et les chiffres ont décidé. Là il faut réduire, là on peut développer. Les années de luttes syndicales qui ont apporté sécurité et bien être aux travailleurs se sont retournées contre eux. Le marché mondial les taxait de travailleurs « trop chers » à payer. Ils devenaient « trop peu concurrentiels ». Leur usine menaçait donc de fermer ses portes. Un sauvetage partiel et éventuel passait par une réduction des coûts.

Le « Messie du métal »

C’est dans ce contexte qu’a débarqué le « Mesie du métal ». Lakshmi Mittal, le roi de l’acier, régnant sur la sidérurgie mondiale, s’intéressait à notre petite Belgique. Une aubaine !? Grâce à lui, les usines sidérurgiques continueraient à tourner. Et les ouvriers à travailler. L’espoir renaissait en Wallonie.

Dans son analyse de l’intervention de Mittal, Olivier Bailly écrivait (2): «Pendant cinq ans, le sidérurgiste allumera et éteindra les hauts fourneaux liégeois, au gré de la conjoncture mondiale de l’acier. Mais, le 14 octobre 2011, invoquant une situation déplorable du marché et un écart de compétitivité défavorable à Liège, il arrête les atermoiements et annonce la fermeture définitive. Il s’agit pourtant moins d’un marché qui s’effondre que d’une multinationale qui entend maximiser ses profits. Comment ? En concentrant ses moyens de production sur quelques sites et en se tournant vers l’achat de mines, jugé plus rentable. Liège gagne de l’argent, mais moins que les autres sites sidérurgiques européens du groupe : ses bénéfices alimenteront la réorientation stratégique du groupe. Un véritable racket pour tous les acteurs locaux, dépossédés de leur outil.»

«Arcelor-Mittal n’a pourtant rien d’une entreprise aux abois : en 2011, le groupe engrange 2,3 milliards de dollars de bénéfices. Malgré des ventes en baisse, son chiffre d’affaires s’accroît de 8 % et ses revenus de 20 % (94 milliards de dollars). L’année précédente, il avait gagné 2,9 milliards de dollars.»

Des industrie pour quoi faire ?

Comment ne pas s’interroger sur le rôle de l’entreprise dans notre société. Produire des richesses, procurer du travail, permettre le développement de nouveaux produits, de nouvelles manières de vivre : un atout pour une société moderne. Mais que dire de la recherche de la rentabilité à tout prix et même à n’importe quel prix, pour gaver le portefeuille des actionnaires.

Pour rester concurrentiel au niveau mondial on ne peut plus, on ne doit plus avoir d’état d’âmes ? Plus considérer le travailleur comme une personne qui a une vie familiale, sociale ? Plus voir la société dans son ensemble ? Ne plus produire pour un développement global, des entreprises et des individus?

John, qui avait tant de courage et de convictions par rapport à son travail, a été broyé comme les autres. Sur l’hôtel de la concurrence, de la compétitivité de la croissance. Peu importe, nous dit-on, seuls comptent les chiffres, les données économiques objectives…

A ce rythme, la Belgique a gommé, au fil des années, la plupart de son paysage industriel. « En 50 ans, nous avons perdu la moitié de nos emplois industriels, » nous explique la journaliste Françoise Gilain (3) dans son enquête ‘Made in Belgium’. « 13% seulement de nos richesses nationales sont produites par l’industrie. C’est peu, très peu. Comme dans d’autres pays européens d’ailleurs. L’Europe – ou Bruxelles comme on dit en France – voudrait que l’on remonte à 20% de richesses industrielles. Mais comment ?»

Le rôle du Politique

Tout le débat de société est là, focalisé autour de ces données. Mais les réponses varient diamétralement en fonction des approches. Comment retrouver notre compétitivité au niveau international ? Ou comment replacer le travail au centre de notre société ? On le perçoit de suite, certaines questions sont macro-économiques ou financières, d’autres sont politiques. Les décisions importantes pour notre économie, et pour l’emploi qu’elles génèrent, sont avant tout prises au niveau international, par des mutlinationales. Qui parlent en milliards de dollars. Le politique a-t-il encore beaucoup de choix ? De quelle marge de manœuvre dispose-t-il ? Au niveau national, voire régional ?

Et le travailleur dans tout ça. Que peut-il faire ? Exercer son droit de vote et son droit de grève. Pour quel résultat ? Enlever l’homme qui valait 35 milliards alors…

Jean-Pierre Borloo

(1) «Arcelor Mittal : une manif, un oeil perdu», Olivier Bailly, www.apache.be/fr, 10 avril 2013

(2) «Le défi sidérurgique», Olivier Bailly, Monde diplomatique, septembre 2012 - http://www.monde-diplomatique.fr/2012/09/BAILLY/48143

(3) http://triangle7.com/MadeinBelgium/

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